Chaque année, les villes ressortent leurs décorations, leurs stands uniformisés, leurs gobelets réutilisables (mais jamais réutilisés), et leurs chalets qui ressemblent tous à des copies carbone d’un catalogue touristique. C’est la saison des marchés de Noël : ambiance féérique, musique d’ascenseur, et odeur de cannelle qui tente désespérément de masquer l’odeur du business.
On nous vend la magie, mais ce qui brille le plus, ce ne sont pas les yeux des passants — ce sont les marges.
Car derrière les guirlandes LED et les guimauves artisanales fabriquées en usine, il y a une réalité moins photogénique : les marchés de Noël ne profitent presque pas aux commerçants locaux.
Les places sont chères et les stands sont souvent occupés par des marchands itinérants qui traversent l’Europe dans des camions surchargés. Résultat : beaucoup vendent exactement la même chose à Zurich, Lyon, Bruxelles ou Strasbourg, comme si le “local” avait été délocalisé.
Côté artisans locaux, c’est une autre histoire.
Ils paient l’emplacement, le temps, le froid, la logistique, espérant amortir leurs coûts. Souvent, ils rentrent à la maison avec moins que ce qu’ils avaient investi.
Mais au moins, ils auront passé trois semaines à sourire sous zéro degré et à répéter : “Oui, c’est fait main.”
Même quand ce n’est pas rentable, ça reste “magique”, paraît-il.
Et puis, il y a la facture carbone. La seule chose qui ne soit jamais soldée.
Des centaines de milliers de visiteurs en voiture, des camions qui transportent des tonnes de déco en plastique, des stands chauffés à l’électricité alors que les collectivités supplient les habitants de réduire leur chauffage.
Chaque année, on nous parle de sobriété… sauf quand il s’agit d’illuminer toute une ville comme une piste d’atterrissage.
Mais ce paradoxe ne choque plus personne.
Parce que Noël, aujourd’hui, est devenu avant tout une vitrine :
une façade lumineuse pour cacher les fissures sociales.
On éclaire les rues, mais on laisse des gens dans l’ombre.
On vend des biscuits étoilés, mais on oublie ceux pour qui la fête est un rappel cruel de solitude ou de précarité.
Nous avons remplacé le Noël du cœur par un Noël Instagram, plus photogénique, moins humain.
Pourtant, la fête n’a jamais été conçue pour être un marché.
Noël était, à l’origine, un moment pour ralentir, partager, repenser sa place dans le monde, et tendre la main à ceux qui en ont besoin.
Aujourd’hui, on tend surtout le terminal de paiement.
Peut-être qu’un jour, on retrouvera un Noël plus simple, plus vrai, plus humain.
Un Noël qui coûte moins en carbone, et plus en attention.
Un Noël où l’on achète moins, mais où l’on donne mieux.
Un Noël qui ne se mesure pas en ventes, mais en chaleur partagée.
Parce qu’au fond, ce n’est pas la ville qui doit briller, c’est nous.
